mardi 17 septembre 2013

Texte Intégral du reportage "Les disparues d'Égypte" Reportage de Jean-Marc Gonin. Publié dans le Figaro Magazine du 05-06/07/2013

REPORTAGE : « Les disparues d’Égypte »

par © Jean-Marc Gonin et Alfred Yaghobzadeh, publié dans Le Figaro Magazine du 05-06/07/2013

Un profond merci pour l'autorisation de publication.
*   *   *

LE FIGARO MAGAZINE 5 JUILLET 2013 'LES DISPARUES d’Égypte' REPORTAGE

Des centaines de filles et de jeunes femmes chrétiennes sont la cible des islamistes les plus radicaux. Enlevées, elles sont ensuite converties et mariées de force.

DE NOS ENVOYÉS SPÉCIAUX AU CAIRE JEAN-MARC GONIN (TEXTE) ET ALFRED YAGOBZADEH (PHOTOS).
5/6 JUILLET 2013 LE FIGARO MAGAZINE

Inconsolables, les mères ont peu de recours


Un visage d’enfant posé sur un corps de jeune femme. Jean, tee-shirt blanc imprimé «Fashion Girl», un collier de deux perles de verre bleu sur une fine lanière de cuir noir: Irini Samir est une ado de son temps. Elle a 16 ans, la vie devant elle et des projets plein la tête. Pourtant, ses yeux ombrés de cernes trahissent la crainte. Assise sur un banc dans le jardin d’une église copte d’une lointaine banlieue du Caire, elle tourne subitement le regard vers le côté, telle une biche effarouchée.
Irini revient de l’enfer. Cette collégienne chrétienne a été séquestrée près de deux mois par des musulmans qui voulaient la marier de force. Son salut, elle ne le doit qu’à son courage et à sa présence d’esprit quand elle est parvenue à échapper à ses ravisseurs.

Avec un couteau, elles effacent une croix tatouée.

Le calvaire a commencé un matin à 7heures à Al-Minya, en Haute-Égypte. Elle vient de quitter la maison familiale et se rend au collège en compagnie d’une amie. Sur le chemin, elle s’arrête pour acheter à manger. Quand elle ressort dans la rue, un minibus s’approche. Un homme la saisit et l’embarque de force. Ensuite, c’est le trou noir. «Je me suis réveillée dans une chambre, raconte-t-elle. J’ignorais où je me trouvais.» Autour d’elle, des femmes voilées et des barbus–«des cheikhs»,dit-elle pour décrire des hommes d’un certain âge à l’allure de religieux.
Une des femmes lui lance: «Ton âme va devenir musulmane et tu le deviendras aussi.»
«Je ne veux pas. Vous ne pourrez pas me forcer!»
A peine Irini a-t-elle riposté qu’un cheikh la gifle avant de quitter sa chambre en claquant la porte.
Quelques jours plus tard, pour la préparer à son avenir de convertie, les femmes de la maison tentent d’effacer la croix tatouée que les Coptes portent au poignet. A l’aide d’un porte-plume et d’un couteau, elles arrachent la peau teintée d’encre. La gamine se débat, crie et fond en larmes.
«Pourquoi pleures-tu?» demande une de ses tourmenteuses.
«Ma mère m’a dit que ma vie serait finie si cette croix disparaissait.»
Irini mange seule dans sa chambre. Pour toute lecture, les ravisseurs lui ont laissé un Coran et des fascicules de propagande islamiste.

Quand on la laisse enfin sortir de la pièce, c’est pour l’obliger à faire le ménage. Elle découvre qu’elle se trouve à Assouan, à 650 km au sud de la maison familiale. Elle tente une première évasion. Un cheikh la rattrape alors qu’elle franchit la porte.
Le salut viendra de la découverte d’un téléphone portable oublié par un occupant de la maison. Irini compose le numéro d’un cousin. Elle lui dit se trouver à Assouan. Puis, pour l’aider à la localiser, elle décrit les alentours de la maison, la cour, une école qu’elle aperçoit en face dont elle lit le nom sur le portail. Le cousin appelle un ami à Assouan, qui identifie l’endroit. Irini guette le moment où le cheikh quitte la maison. Elle fausse immédiatement compagnie à ses ravisseuses en s’engouffrant dans un tuk-tuk (tricycle taxi) où l’ami du cousin l’attend. Le chauffeur fonce jusqu’à la gare. Ils attrapent le premier train pour Le Caire. Irini est en lieu sûr. Elle a échappé à la conversion et au mariage forcés, quand ce n’est pas à un viol a fin qu’elle porte l’enfant d’un musulman.

'Ils cherchent à nous intimider, à nous forcer à l'exil'


La police accuse les familles d’attiser la haine

En Égypte, des centaines de filles et de jeunes femmes coptes ont connu le sort d’Irini –épilogue heureux mis à part. La pratique ne date pas d’hier. «Les enlèvements de femmes coptes ont commencé sous Anouar el Sadate, souligne Nadia Henry, une sénatrice chrétienne. Cela a continué sous Moubarak. On se demandait parfois s’ils n’étaient pas directement organisés par la police secrète pour intimider les chrétiens. Mais après la révolution de 2011, leur nombre a explosé.» Dans un rapport publié en 2012 par l’ONG Christian Solidarity International, l’universitaire américaine Michèle Clark et la spécialiste égyptienne des droits de l’homme Nadia Ghaly ont recensé pas moins de 500 cas depuis la chute de Moubarak. Plus d’une année s’est écoulée après sa publication et la situation n’a fait qu’empirer…
Ni la police ni la justice ne s’occupent de ces cas. Au mieux, policiers et procureurs écoutent les témoignages des parents éplorés et enregistrent la plainte sans lancer d’enquête; au pire, ils les éconduisent sans ménagement, quand ils ne les accusent pas de vouloir semer la discorde entre les différentes communautés religieuses du pays. «Les Coptes ne sont pas des citoyens de second ordre, mais de cinquième ordre», ironise, plein d’amertume, Stefanos Milad Stefanos, un avocat chrétien qui centralise les cas de filles disparues au Caire.

Pour les familles désespérées, il ne reste que peu de recours. Hormis l’Église copte, il n’y a guère que l’Association pour les victimes d’enlèvements et de disparitions forcées (Avaed), créée par de jeunes chrétiens dès avril 2010, à leur venir en aide. Avec ses 1500 bénévoles dispersés dans toute l’Égypte, l’Avaed recense les cas de disparition, elle les documente et, avec l’appui d’avocats, essaie de surmonter les résistances officielles de tous ordres pour que les autorités recherchent les disparues. «Avant la révolution, explique Ebram Louis, 26ans, fondateur de l’association, nous étions saisis de trois ou quatre cas chaque mois. Après la chute de Moubarak, on en compte une quinzaine en moyenne.» Son association a transmis 45 dossiers à la Cour suprême, la plus haute juridiction égyptienne, sans le moindre résultat. «Pas une seule fois la justice n’a lancé des investigations», déplore Ebram Louis.

Un sac de magasin de chaussures à la main, les yeux rougis, Marsa Said, sort une à une les photos de sa fille. Quand elle raconte ce qui lui est arrivé, des sanglots l’étranglent. Les larmes roulent le long de ses joues lorsqu’elle montre l’image d’une fillette vêtue d’une robe à volants noirs et blancs et de sandalettes, qui étreint un lapin en peluche rose. Nadia a disparu le 10 septembre 2011 vers 10h00. C’était un dimanche. La famille revenait de la messe dans une église du Caire. Son père l’a envoyée acheter du pain. Elle n’est jamais revenue. Au moment de sa disparition, elle avait 14 ans.

Bien qu’inconsolable, dévastée et perdue, Marsa Said n’a pas renoncé à retrouver sa fille. Son opiniâtreté lui a pourtant coûté cher. Renvoyée par la police, menacée par le voisinage, elle a dû déménager, avec son mari et ses quatre enfants restants, dans un autre quartier du Caire. En chemin, elle a également perdu son travail. A force de remuer ciel et terre, aidée par l’Avaed et un avocat (elle ne sait ni lire ni écrire), elle a mis la main sur l’acte de mariage de sa fille avec un musulman de 48ans. «Un repris de justice», précise-t-elle. Selon la loi égyptienne, tout est illégal : ni cette union ni la conversion qui l’a précédée ne pouvaient avoir lieu sans consentement parental. Marsa Said sait où vit cet homme, elle a même parlé à des membres de sa famille. Rien n’y a fait. Elle ne peut faire valoir son droit et la police ne veut plus en entendre parler.
Pour prendre l’opinion publique à témoin, l’Avaed a amené cette mère accablée à la télévision. Cela n’a fait qu’attirer sur Marsa Said les foudres des salafistes égyptiens, l’aile la plus radicale du mouvement islamiste. Révoltée, Marsa Said crie sa colère: «Abou Islam a déclaré que le mariage de ma fille était tout à fait normal et que Nadia était consentante !» Pour les chrétiens d’Égypte, Abou Islam est une sorte d’incarnation du diable.
Cet homme qui se présente comme un journaliste écrivain, dirige une chaîne vouée à propager le salafisme. Il y tient une longue causerie quotidienne six jours par semaine. «Une fois sur deux, elle porte sur les chrétiens», dit-il avec un mouvement de menton. Quand on l’interroge sur les Coptes, sa colère est intarissable. «Ils n’arrêtent pas de nous provoquer, s’énerve-t-il. Ils portent des croix autour du cou. Voyez comment leurs femmes s’habillent et sortent tête nue. Quant aux kidnappings, c’est eux qui convertissent nos femmes de force !» A l’écouter, les chrétiens d’Égypte n’ont qu’une alternative : soit ils se soumettent et acceptent la règle de la majorité sunnite, soit ils quittent le pays.
Quand il reconduit son visiteur à la porte de son studio, il révèle que le prochain livre qu’il va publier portera sur les Coptes: «Qui et combien sont-ils?» Leur nombre obsède les islamistes radicaux. Sans grande rigueur statistique, l’État prétend que les chrétiens d’Égypte sont environ 8 millions, soit 10% de la population totale. Les leaders coptes et l’Église pensent plutôt qu’ils sont plus de 10 millions. Abou Islam, lui, affirme qu’ils représentent moins de 0,5% des Égyptiens…

Dans la chambre vide, pas un objet n’a bougé

Otages de ce stratagème politique, religieux et idéologique, les familles n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. Les mères contemplent des chambres désespérément vides où pas un objet n’a bougé depuis que le malheur a frappé le foyer. Comme Magda Mehani, une commerçante du Caire, qui recherche sa fille Martha depuis sa disparition le 14 juillet 2007.
Elle avait 19 ans. Ou encore Nabila Shihata, une mère de famille d’Ismailia qui n’a plus
de nouvelles de Christine depuis le 26 janvier 2012. Elle avait 17 ans et 4mois…

En charge du dossier des disparues au sein de l’Église copte, le père Ibrahim Karas ne sait plus à quel saint se vouer. Pour lui, cette stratégie des enlèvements de jeunes femmes et des conversions forcées n’est pas du seul fait des islamistes radicaux. «Ils sont tous heureux de les convertir de force: le gouvernement, la police et la justice, explique le curé de la paroisse Sainte Marie, dans le populeux quartier de Shoubra, au Caire. Ils veulent nous intimider, nous forcer à l’exil, faire du pays un État exclusivement musulman. Nous ne partirons jamais. Nous sommes autant Égyptiens qu'eux!» ¦
JEAN-MARC GONIN

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire