vendredi 13 septembre 2013

« Les chrétiens d'Orient vont-ils disparaître ? » Ouvrage d'Annie Laurent, Editions Salvator

« Les chrétiens d'Orient vont-ils disparaître ? »

Ouvrage d'Annie Laurent

Editions Salvator – août 2008



Annie Laurent est une spécialiste reconnue du Proche-Orient. Dans ce nouvel ouvrage, elle présente les différentes communautés chrétiennes d’Orient et insiste sur l’enjeu de leur maintien sur leurs terres d’origine comme élément de stabilité régionale et d’équilibre confessionnel. Après des siècles de présence, les chrétiens d’Orient sont aujourd’hui dans une situation nouvelle: celle d’une extinction possible. Coptes, maronites, grecs-orthodoxes ou catholiques, Arméniens-orthodoxes ou catholiques, protestants, Chaldéens, Assyriens, syriaques...ces communautés sont les héritières de la Première Église. Leur diversité atteste de leur richesse, de leur ouverture et de leurs ressources intellectuelles et spirituelles. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Combien sont-ils ? Quel est leur statut dans les pays dominés par l’Islam? De quelles libertés jouissent-ils ? Quels rôles culturels et économiques jouent-ils ? Quelles épreuves subissent-ils ? Leurs spécificités d’ordre théologique ou juridique restent-elles significatives ? Comment se situent-ils par rapport à Israël et au judaïsme ? Restent-ils des traits d’union entre confessions, religions et communautés ? Quels rapports entretiennent-ils avec Rome ?

Au-delà des souffrances qui sont les leurs, Annie Laurent met en évidence les initiatives apostoliques prises par ces églises pour relever les défis existentiels auxquels sont confrontés les chrétiens en Orient. Ed Salvator.

Même si, comme elle le dit joliment dans son livre, « la mosaïque relève de l’art », la complexité confessionnelle du Moyen-Orient demeure un problème face à
l’islam hégémonique. Cette unité des chrétiens, écrit Mgr Sleiman, archevêque de
Bagdad, dans une remarquable préface du livre, est un des trois défis à relever, les
deux autres étant la dhimmitude (état des non-mulsulmans considérés comme des citoyens de seconde zone) et la question israélo-palestinienne.
Plutôt que de faire une étude exhaustive de l’ouvrage, c’est à ces deux défis, qui
éclairent la tragédie des chrétiens d’Orient et nous renvoient à nous-mêmes comme
en un miroir, que je m’attacherai.
La dhimmitude
Au droit commun des religions, qui tend à prévaloir en Europe, l’islam oppose l’affirmation de sa propre supériorité et son corollaire, la dhimmitude. Selon un hadith, « l’islam domine et ne saurait être dominé ». Quand l’islam est majoritaire, le pouvoir doit revenir à un musulman, toute autre situation étant provisoire. La condition des chrétiens ne résulte donc pas d’un contrat, mais d’un rapport de vainqueur à vaincu. En outre, l’islam se définit comme un tout politico-religieux indissociable, et une seule loi : la charia, issue directement du Coran et de la Sunna (la Tradition). Comme le dit Hassan el Banna, fondateur des Frères musulmans : « L’islam est dogme et culte, patrie et nationalité, religion et État, spiritualité et action, Coran et sabre ». L’identité même des agnostiques et des athées est islamique, et se traduit par l’inscription de leur confession sur les registres d’état civil et souvent sur les papiers d’identité.
Le salut des chrétiens est ainsi de se replier sur leur identité confessionnelle pour éviter la dissolution ou la soumission à la charia. Ce qu’on appelle, au sens courant, le communautarisme.
La laïcité introuvable
En marge du livre d’Annie Laurent, remarquons que la notion de laïcité n’a pas de traduction en arabe. Selon le Père Samir Khalil, jésuite égyptien, le mot a un équivalent lointain dans elmaniyya, qui signifie éloignement et abandon de Dieu en faveur du monde et a donc une acception fortement péjorative.
Si cependant, Abdellak Eddouk, du Conseil régional du Culte musulman, affirme qu’en
France « la laïcité est une chance pour l’islam » (Valeurs actuelles du 26 janvier), il faut en comprendre le double langage : la France offre à l’islam un espace et une visibilité qui en Orient sont refusés aux chrétiens, mais qui en Europe sont appelés à gagner du terrain et à devenir dar el islam (c'est à dire 'demeure de l'islam' ; ndlr), puisque, dit toujours Eddouk, « l’islam, en France, n’est plus une religion de passage, c’est une religion nationale ».
L’instrumentalisation de la laïcité dont usent en Europe les musulmans est en revanche impossible aux chrétiens d’Orient. Les pays où ils résistent le mieux sont ceux où la Constitution repose sur un communautarisme confessionnel (Liban), ceux où les chrétiens disposent de leur propre juridiction (Jordanie), ou ceux où les dirigeants, minoritaires, ménagent les chrétiens minoritaires comme eux (Syrie, ou Irak avant que l’Occident laïciste s’en mêle).
Mais dans ces pays mêmes la situation des chrétiens se détériore et plus encore que ne l’écrit l’auteur, qui a publié son livre en 2008. Au Liban, l’influence grandissante du
Hezbollah risque de réduire le pacte communautaire à une fiction constitutionnelle.
En Jordanie et en Syrie, la poussée des mouvements islamiques inquiète les chrétiens
et les incite à l’exil. Au Liban même, des voix discordantes se font entendre.
Annie Laurent cite un historien chiite : « Sans les chrétiens, les musulmans libanais perdraient une grande partie de leur liberté ». Mais elle cite aussi le directeur de l’institution représentative du sunnisme libanais (Dar el Fatwa) : « Le musulman, au Liban, ne peut être qu’engagé par les obligations de l’Islam, parmi lesquelles la création de l’État islamique. Celle-ci peut toutefois être suspendue provisoirement en cas de contraintes extérieures… La solution fondamentale c’est l’appel à l’instauration d’un pouvoir islamique au Liban ».
Les maîtres de la maison
Ce qui frappe le lecteur, c’est la distorsion entre la situation réelle et l’image qu’on veut
en donner. Si la dhimmitude ne figure plus dans le droit des pays dont l’islam est religion d’État – sauf en Iran où Khomeiny l’avait réintroduite – elle est néanmoins pratiquée de facto.
Dans les pays les plus hostiles aux chrétiens, l’Iran, l’Arabie Saoudite, l’Égypte dans
une moindre mesure, il existe un dialogue inter religieux officiel entre le Saint-Siège et certains dignitaires musulmans. Dialogue légitime pour le Vatican qui ne veut gâcher aucune chance de sauver les chrétiens, surréaliste quand on songe que l’université El
Azhar (qui vient de rompre le dialogue) refuse les étudiants chrétiens, et que l’Arabie
Saoudite n’admet sur son sol aucun lieu de culte sous prétexte que la péninsule arabique est une immense mosquée.
Le statut de dhimmi est assumé différemment selon les pays et les confessions. En Palestine, les autorités ecclésiastiques ont exprimé une solidarité sans faille avec les revendications souverainistes de leur peuple, et certains chrétiens se sont même rapprochés du Hamas. Réactions contre les injustices d’Israël ? Moyen pour les chrétiens d’obtenir par leur patriotisme l’égalité avec les musulmans ? Mais l’affirmation de Michel Sabbah, qui fut patriarche latin de Jérusalem – « nous sommes des chrétiens de civilisation islamique » – peut aussi sonner comme l’écho d’une dhimmitude intériorisée.
En revanche, en 1984 à Damas, le patriarche orthodoxe Ignace IV Hazim rappelait que les chrétiens sont en Orient sur leurs terres ancestrales : « C’est nous qui sommes
les vrais maîtres de la maison, les musulmans sont nos hôtes depuis quatorze siècles ».
D’où la valse hésitation à l’égard de l’arabité. Ni les Égyptiens, ni les Libanais, ni les Irakiens ne sont arabes. D’où la tentation pour les Coptes, les Maronites, les Chaldéens de se rattacher à la culture pharaonique, phénicienne, assyrienne. Mais, face à des affirmations comme celle de Kadhafi : « Il serait anormal qu’un Arabe ne soit pas musulman », certains sont tentés de revendiquer une arabité problématique : arabes
parce que de langue arabe… qui leur fut imposée par l’envahisseur musulman. À ce titre, ne pourrait-on pas dire que les chrétiens arabophones, traducteurs en arabe des
textes grecs, sont les vrais fondateurs de ladite civilisation arabe ?
Le problème d’Israël
Ces réactions diverses, pathétiques souvent, toutes motivées par la volonté des chrétiens de ne pas vivre en exilés dans leur propre pays, n’empêchent pas l’érosion chrétienne. Mgr Sleiman ne l’attribue pas seulement au totalitarisme islamique. Elle
est aussi, écrit-il, « la conséquence des stratégies et des tactiques de la politique internationale ».
Si le prestige de l’Occident fut fort dans la première moitié du XXème siècle, le nationalisme a cependant échoué. Mgr Sabbah en donne une raison qui, si elle n’explique pas tout, est néanmoins intéressante : « Le nationalisme arabe a échoué parce que ses promoteurs, influencés par la philosophie des Lumières, étaient agnostiques et laïcs ».
En outre la création de l’État d’Israël en 1948 a constitué, écrit Annie Laurent, un
« bouleversement de l’équilibre régional » État de nature confessionnelle, voulu et soutenu par l’Occident, il contribue à la reconfessionnalisation des sociétés orientales.
Abraham Burg, ancien président de la Knesset, disait lui-même : « Un État juif, c’est de
la dynamite », qui légitime, par là même, les États islamiques.
Évêque de Saint-Jean d’Acre depuis 2006, le Père Elias Chacour, lorsqu’il était curé de la paroisse grecque – catholique d’Ibillin, comparait implicitement le dhimmi et le
goy : « La religion juive fait cette distinction entre le juif et le goy, entre l’élu et le païen…
le non-juif survivra avec le juif s’il accepte de se considérer comme inférieur à celui-ci…
Nous ne pouvons nous considérer comme des étrangers dans notre propre maison. Nous ne sommes pas des intrus ».
L’exil ou le martyre
Pris en étau entre Israël et Islam, intrus chez les uns et « ennemis de l’intérieur » parce qu'« alliés des croisés » chez les autres, les chrétiens d’Orient n’ont souvent le
choix qu’entre l’exil et le martyre. L'Irak est à cet égard emblématique. Depuis que la constitution de 2005 fait de l’islam la religion d’État et stipule qu’aucune autre loi que la loi islamique ne peut être admise, les chrétiens, victimes de la croisade sans croix des Américains, sont devenus des parias chez eux et même des « cibles légitimes». «L’enfer, c’est chez nous », pouvait dire Mgr Louis Sako, évêque chaldéen de Mossoul.
Mais Annie Laurent ne veut pas s’en tenir « à l’évocation et à la description du sort
actuel des chrétiens », dont les effets seraient stériles et désespérants. Son livre est une
mine de renseignements, mais l’oeuvre aussi d’une chrétienne militante. Elle guette les signes d’espérance, attentive aux « trésors d’imagination et d’intelligence » des Églises
d’Orient pour dissuader leurs communautés de s’exiler, car « ceux qui partent affaiblissent ceux qui restent ».
Sans doute. Sans doute aussi faut-il comprendre que l'’enjeu n’est pas seulement la protection des minorités, mais la permanence du christianisme sur sa terre d’origine,
et la nécessité d’une présence chrétienne en cet Orient qui, sans elle, serait livré à la
charia.
Cependant Je ne partage pas vraiment le point de vue de ceux qui, comme Annie
Laurent, dans un Occident encore préservé, appellent les chrétiens d’Orient « à comprendre ce que Dieu attend d’eux sur la terre où Il les a placés, sachant que la perspective du martyre est toujours à l’horizon ».
Je préfère que les Européens soient rappelés à leur responsabilité, selon l’avertissement de Mgr Sleiman : si les drames du Proche-Orient, écrit-il, « ne trouvent pas de solutions, ils sont, par un effet de boomerang, en passe d’atteindre leur propre univers ».
Mais pour avoir conscience du danger et la volonté de le conjurer, encore faudrait-il
que l’Europe oublieuse ait quelque conscience d’elle-même et sente avec les
chrétiens orientaux quelque chose qui ressemble à une communauté d’origine et de
destin. Un événement récent, en tout cas, est de mauvaise augure : c’est le report sine
die, faute de consensus, d’un texte de la diplomatie étrangère de l’Union européenne
sur la liberté religieuse menacée. Le désaccord portait, de la part de Catherine Ashton,
haute représentante aux Affaires étrangères de l’Union européenne, du Royaume-Uni
et de pays nordiques, sur le refus d’une référence spécifique aux chrétiens comme victimes des persécutions religieuses.
Si l’Europe pratique l’autocensure jusqu’à s’interdire la seule mention des chrétiens par crainte du choc des civilisations, c’est le signe d’une dhimmitude plus intériorisée en Europe qu’au Proche-Orient. « Les institutions européennes risquent de perdre toute crédibilité » commente Radio-Vatican, et les chrétiens d’Orient tout secours européen.
Danièle Masson
http://www.reseau-regain.net/IslamPDF_file/IslamPDF_files/2Da94ChretOrientDisparait.pdf

 

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