jeudi 12 septembre 2013

Texte intégral du reportage de Manon Quérouil-Bruneel."Les disparues d'Egypte" publié dans "MARIE CLAIRE" daté d'août 2013

 « Les disparues d’Égypte »


publié dans « MARIE CLAIRE » daté d'août 2013.

Elles sont des centaines. Femmes coptes, kidnappées, mariées de force à un musulman, converties à l’islam, désormais introuvables. Seules leurs familles s’en soucient. Le sort des chrétiennes n’intéresse pas le reste de la population, ni les autorités.

Par Manon Quérouil-Bruneel.
Photos Alfred Yaghobzadeh.


Marie, 18 ans, volatilisée en se rendant au cinéma pour fêter la fin des examens. Jamila, 45 ans, évaporée sur le chemin de l’église. Lina, 22 ans, introuvable depuis un mois après être sortie acheter du pain. La liste est longue, de ces Égyptiennes disparues du jour au lendemain sans laisser de traces. Ebram Louis est le jeune président de l’Association des victimes d’enlèvements et de disparitions forcées, fondée en 2010 par une poignée de volontaires. Faute de subventions, son petit salon fait office de bureau. Une pièce encombrée, où il compile les dossiers des victimes : photos d’identité, extraits d’actes de naissance, coupures de presse, témoignages… Depuis deux ans, l’association a enregistré plus de 400 disparitions. Sans compter celles qui n’ont pas été signalées, par peur du déshonneur ou des représailles.

COMMUNAUTÉ REJETÉE
Étudiantes ou mères de famille, femmes d’affaires ou au foyer, toutes ces victimes dont le visage souriant s’étale sur la table du salon ont un point commun : leur appartenance à la religion chrétienne. Car derrière ces disparitions en série se cache une forme de prosélytisme méconnue.«Certains fanatiques considèrent que les conversions sont un devoir religieux. Pour eux, tous les moyens sont bons, y compris kidnapper des chrétiennes pour les convertir à l’islam et les forcer à épouser un musulman », dénonce Ebram Louis en décrochant son téléphone. Au bout du fil, une voix féminine lui annonce une nouvelle disparition.
La famille de la victime habite dans une de ces banlieues défavorisées du Caire surgies de terre après la révolution de 2011. En haut d’un escalier en chantier, la porte s’ouvre sur une vingtaine de personnes répartie tant bien que mal dans deux petites pièces. Cousins et amis sont venus soutenir le mari et le fils de Jamila, portée disparue depuis quarante huit heures. Un témoin assure l’avoir aperçue dans un taxi à la sortie de l’église, l’air groggy. Prostré dans un coin du canapé, son mari murmure qu’il l’a cherchée partout : dans les rues, à l’hôpital et même à la morgue. Son fils soupçonne les ouvriers venus récemment installer le gaz de l’avoir kidnappée : « Ils étaient barbus. » Difficile, à ce stade, de tirer des conclusions. Pourtant, les soupçons s’orientent vite dans une direction précise. « Y a-t-il une mosquée fréquentée par des salafistes dans le quartier ? » interroge Ebram Louis.
Les tensions entre chrétiens et musulmans ne datent pas d’hier. Depuis des décennies, les Coptes d'Égypte – 10 % de la population – dénoncent inlassablement les discriminations dont ils sont victimes, comme leur mise à l’écart de certaines hautes fonctions de l’Etat ou leur sous-représentation politique. Mais le renversement de Hosni Moubarak et de son régime laïc, en février 2011, a accentué le malaise entre les communautés, nourri par l’islamisation de la société et la percée électorale des Frères musulmans. Un rapport d’Amnesty International, publié en mars dernier, dénonce le manque de protection des chrétiens par le nouveau gouvernement, l’engageant à « prendre au sérieux les menaces et les violences religieuses ». Car la tension monte et les accrochages intercommunautaires se multiplient.

CHANGEMENT D’IDENTITÉ
Magda, croix en perles autour du cou, tient une boutique de souvenirs à Héliopolis, dans le nouveau Caire. Depuis le Printemps arabe, les touristes ne s’y bousculent pas. Malgré tout, fidèle au poste derrière son comptoir, Magda cache son chagrin sous un sourire commerçant. Cinq ans, déjà, que sa fille Marie, sortie au cinéma, n’a plus donné signe de vie. « La police a enregistré la disparition, et nous n’en avons plus jamais entendu parler, comme si rien n’était jamais arrivé. » Son mari, Farouq, a plus de mal à refouler ses larmes. Il raconte, la voix nouée, sa croisade pour retrouver sa fille, les 100 000 $ dépensés au fil des années pour glaner des renseignements auprès d’informateurs plus ou moins fiables. Un jour, l’un d’eux parvient à retrouver la trace de la jeune fille dans les registres de l’état civil. Mais Marie a changé d’identité, elle est devenue Aïcha. Mariée, domicile inconnu.
Pour ne pas sombrer, le couple se persuade que Marie-Aïcha reviendra. Sa chambre l’attend, telle qu’elle l’a laissée il y a cinq ans. Un lit rose bordé de posters de Jésus et d’icônes. Et sur la table de chevet, dans un sac en plastique, son téléphone mobile en mille morceaux. Farouq l’a fracassé contre le mur, un soir où il s’entêtait à ne pas sonner.

RARES LIBÉRATIONS
Rares sont les disparues qui refont surface. L’an dernier, l’Association des victimes d’enlèvements et de disparitions forcées est parvenue à retrouver et libérer une trentaine de femmes, grâce notamment à des enquêtes de voisinage fouillées. La plupart ont, depuis, quitté le pays. Marina*, 19 ans, kidnappée par trois hommes le 6 janvier 2012, est la seule à avoir accepté de témoigner. Depuis sa libération, il y a un an, la jeune fille, ses parents et ses trois sœurs ont changé quatre fois d’adresse afin de semer les ravisseurs. Dans le salon familial d’un immeuble d’Alexandrie, à 200km du Caire, elle raconte : « Ils m’ont jetée dans une voiture et nous avons roulé longtemps. Je me suis retrouvée dans une maison où une femme voilée des pieds à la tête me surveillait vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Tous les jours, deux hommes venaient me parler du Prophète en me demandant de prononcer la “chahada” (profession de foi musulmane, ndlr). Quand je me bouchais les oreilles pour ne pas les entendre, ils me rouaient de coups. » Le calvaire de Marina dure quatre mois. Un matin, elle s’empare d’un couteau et s’ouvre les veines. Effrayée, sa gardienne la jette dehors, la jeune fille s’enfuit et parvient à rentrer chez elle.
Pour qu’un tel miracle se produise, Marsa et Makram donneraient le peu qu’ils possèdent. Ce couple de gardiens qui a élu domicile dans le chantier qu’il surveille vit en suspens depuis la disparition, en octobre 2011, de Nadia, leur fille de 14 ans. Après de longues et coûteuses recherches, ils sont parvenus à retrouver la trace de l’agresseur. « Le jour du procès, il ne s’est pas présenté, mais son avocat a produit un certificat de mariage. Il n’était pas recevable, car Nadia n’est pas majeure, mais ça n’a pas empêché le juge de clore le dossier, sanglote Marsa. Et le pire, c’est que tout le monde s’en moque. Une chrétienne qui disparaît, c’est un non-évènement pour ce gouvernement de fanatiques. Alors pourquoi voulez-vous que ça s’arrête ?»

AUTORITÉS COMPLICES
Les Coptes sont las d’être traités en citoyens de seconde zone. Beaucoup voient même derrière cette complicité passive des autorités la main du Qatar et de l’Arabie Saoudite, qui alimenteraient à coups de pétro dollars un « plan islamiste » destiné à éradiquer les chrétiens d’Orient.
C’est aussi la théorie défendue par le père Karas, en charge du recensement des femmes disparues dans le quartier cosmopolite de Choubra, au nord du Caire. Pour ce prêtre, il ne fait aucun doute que les kidnappings sont sponsorisés par des organisations salafistes : « Je ne sais pas d’où vient l’argent, mais je suis sûr qu’il y en a beaucoup et qu’il est distribué par les Frères musulmans au pouvoir. Pour chaque chrétienne convertie, nous avons la preuve que les ravisseurs reçoivent de l’argent, un appartement ou un travail. » Nous avons voulu interroger les autorités à ce sujet, elles ont refusé de nous répondre.
Ce vendredi matin, alors que l’appel du muezzin retentit, le père Karas célèbre la messe dans un gymnase transformé en église de fortune. Curieuse vision que ce poster du Christ accroché dans les filets d’une cage de foot…Mais le prêtre et ses fidèles n’ont pas le choix, l’autorisation de construire des lieux de culte chrétiens étant de plus en plus difficile à obtenir.
L’une des doléances, parmi d’autres, égrainées par une communauté à bout de souffle. Déjà, depuis la révolution, on estime à 100 000 le nombre de Coptes qui ont fait le choix de l’exil.
Pour Germaine, 15 ans, rencontrée à la sortie de la messe, pas question de quitter le navire. Même si ce n’est pas facile tous les jours : « Le simple fait de marcher dans la rue tête nue est devenu dangereux. Une fois, une femme en hidjab m’a giflée parce que je ne portais pas de voile ! »
Deux ans après le Printemps arabe, les beaux discours du gouvernement sur l’unité nationale sonnent creux, et le spectre de la guerre civile menace. Pour les femmes coptes, minorités de la minorité, l’avenir s’annonce sombre. Le silence qui entoure les disparitions à répétition représente l’ultime brimade pour une communauté bien décidée à se faire entendre.
Pour les chrétiens Égypte, il n’est plus temps de tendre l’autre joue.
(*) Le prénom a été modifié.


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